Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Louis Nicod de Ronchaud est le personnage le plus illustre d'une famille très ancienne originaire des Ronchaux. C'est un poète et un historien de l'art, ami de Lamartine. Son principal titre de gloire est d'avoir été Directeur des Musées Nationaux et co-fondateur -avec Jules Ferry- de la prestigieuse Ecole du Louvre. On trouvera son "CV détaillé" dans la suite de cet article.

Ronchaud ou Ronchaux ?

L'orthographe Ronchaud est généralement utilisée pour le nom de famille, tandis que le pluriel Les Ronchaux s'applique au territoire (de la même manière que la famille Piard des Piards). Exception notable à cette règle: l'ordonnance royale de 1822, qui institue la fusion des communes de Etival et Ronchaud.

Il s'agit donc d'une famille-souche où le nom patronymique et le nom de village se confondent, comme c'est souvent le cas sous l'Ancien Régime. Dans le Grandvaux tout proche, on note de très nombreux exemples de cette désignation du territoire par le nom de ceux qui y habitent: ainsi Les Piards, commune limitrophe d'Etival, mais aussi la ribambelle des hameaux constituant la commune de Grande Rivière: Les Bez, Les Mussillons, Les Faivres, Les Guillons, Les Bouviers, Les Chauvins, ...

Il s'agit d'une famille de vieille noblesse, présente sur le territoire depuis le XIIème siècle. Les De Ronchaud ont occupé notamment la charge héréditaire de "prévot". Sous l'ancien Régime, le prévôt est à la fois le percepteur et le juge de première instance. La prévôté est une subdivision du baillage (Baillage d'Aval du Comté de Bourgogne qui s'étend de Lons le Saunier à Saint Claude). Le nom complet de cette famille est Nicod de Ronchaud. Pendant la Révolution, le citoyen Nicod a prudemment retiré la particule De Ronchaud, qui a été réintroduite après la Restauration. L'homme de lettres Louis-François Nicod de Ronchaud signera ses œuvres Louis de Ronchaud.

Portrait de Louis Nicod de Ronchaud par Joséphine Houssay, musée du Louvre, reproduit dans L'art français, 1887

Portrait de Louis Nicod de Ronchaud par Joséphine Houssay, musée du Louvre, reproduit dans L'art français, 1887

Le CV de Louis Nicod de Ronchaud

Louis François Nicod de Ronchaud est né le 9 décembre 1816 à Lons-le-Saunier.. Fils de Joseph-Alexis Nicod de Ronchaud, trésorier de France (percepteur, aujourd’hui) au bureau de Besançon, dans le Doubs, il effectue ses études en Suisse et se lie d’amitié avec Lamartine, dont il devient le disciple. Auteur de poèmes, il collabore à de nombreuses revues dont la Revue de Paris et à la Gazette des Beaux-Arts.

Nommé inspecteur des Beaux-Arts en 1872, il devient ensuite secrétaire général de l’institution. Parallèlement, il est directeur et administrateur des Musées nationaux de 1881 à 1887. C’est à ce titre qu’il co-fonde l’École du Louvre, voulue par Jules Ferry, dont le but est d’enseigner l’archéologie et l’Histoire de l’art dans une aile du musée du même nom. Il en sera le président de 1882 à 1887. Fait chevalier de la Légion d’honneur, il était également membre de la Société centrale des architectes (où il entre en 1886) et de la Société des amis des monuments parisiens (1886-1887). Il partage son temps entre Paris et Saint-Lupicin où il est propriétaire des restes du château.
Il passera les dernières années de sa vie à Saint-Germain-en-Laye, place du château, où il meurt le 28 juillet 1887. Sur sa maison figure aujourd'hui une plaque commémorative (voir photo). Il est enterré au cimetière de Saint-Lupicin(voir la photo dans la suite de cet article).
En tant qu’auteur de poèmes, on lui doit notamment Premiers chants (1839), Les Heures (1844), Poèmes dramatiques (1883). Comme essayiste, il publia Phidias, sa vie et ses ouvrages (1861), Études d’histoire politique et religieuse (1872), une étude sur la tapisserie dans l’Antiquité (1884) et surtout un recueil d’écrits de son mentor précédé d’une biographie politique : La Politique de Lamartine (1878).

Buste de Louis de Ronchaud consevé au musée de Dole

Buste de Louis de Ronchaud consevé au musée de Dole

Un républicain convaincu

Bien qu'issu d'une famille royaliste -son père a été député sous la Restauration-, Nicod de Ronchaud se tournera vers les idées républicaines, à l'instar de son mentor Lamartine. Directeur du journal républicain Le Jura(1868-1870), Il est candidat malheureux aux élections de 1869. Conseiller municipal de Saint-Lupicin , il siège au conseil général du Jura de 1871 à 1883.

L'Ecole du Louvre fondée par Louis Nicod de Ronchaud

L'Ecole du Louvre fondée par Louis Nicod de Ronchaud

Plaque commémorative sur sa maison de Saint-Germain-en-Laye

Plaque commémorative sur sa maison de Saint-Germain-en-Laye

Louis Nicod de Ronchaud est enterré au cimetière de Saint-Lupicin

Les funérailles religieuses de cet ancien élève du collège jésuite de Fribourg (Suisse), qui avait perdu la foi à ses débuts dans les salons parisiens, furent faites en hâte, le maire de Saint-Claude et les loges de la franc-maçonnerie locale ayant été convoquées pour affirmer leur lien avec le défunt.

Le magnifique éloge funèbre d'Anatole France

Dans "La Vie Littéraire"

"J’apprends en ce moment avec une vive douleur que M. de Ronchaud vient de mourir à Saint-Germain.

Je le connaissais depuis mon enfance. Sa loyale figure est associée à mes plus vieux souvenirs. Je le vois encore tel qu’il était vers 1860, tout blond, le front découvert, l’oeil bleu, avec un air de douceur et de gravité profondes et la simplicité des grandes âmes. Je l’entends encore parler de l’art grec et de l’art florentin comme le plus candide amant de leur beauté. Alors il préparait son Phidias ; alors M. de Lamartine lui consacrait un numéro entier du Cours familier de littérature. Autant qu’il m’en souvient, l’image que le grand poète traçait de notre ami était vague, idéale, élyséenne et pourtant ressemblante. « M. de Ronchaud, disait il eût été dans d’autres temps un orateur comme il est un poète et un historien de l’art. » Pour être tout à fait orateur, il eût fallu que M. de Ronchaud vécût dans des temps fabuleux et qu’un dieu vînt délier sa langue ; car il parlait les dents serrées, d’une voix sourde et rauque. Mais il était éloquent par la force de la pensée, par la sincérité de l’expression et par l’incomparable beauté du regard.

Sa conversation fut un de mes premiers enchantements. J’étais encore un enfant. Bien souvent, au retour du collège, je l’entendais parler au milieu du petit cercle qui se formait tous les soirs dans le magasin de librairie de mon père. Il me ravissait. Je ne comprenais pas tout ce qu’il disait. Mais, quand on est très jeune, on n’a pas besoin de tout comprendre pour tout admirer. Je sentais qu’il était en possession du beau et du bien. J’étais sûr qu’il partageait la table des dieux et le lit des déesses.

Le lendemain, en classe, je devinais que mon modeste professeur n’était point de cette race divine, et je l’en méprisais. J’étais choqué de le voir si ignorant de la beauté antique. C’est ainsi que l’influence de M. de Ronchaud me fit manquer un certain nombre de classes dont je passai le temps au Louvre, devant une métope du Parthénon. Mais, comme dit M. Renan, on peut faire son salut par diverses voies. M. de Ronchaud savait aimer. C’est un secret qu’il connut toute sa vie et qui l’empêcha de vieillir. M. de Ronchaud aima toute sa vie la poésie, l’art et la liberté.

Il fréquentait, sous l’empire, le salon de madame d’Agoult, centre de l’opposition républicaine. Il était lui-même un ardent républicain. Je me rappelle encore un article qu’il donna en 1856, dans la Revue de Paris, à propos du César de M. de Lamartine et d’une étude sur le même personnage par M. Troplong. Ce divin Jules passait alors de durs moments. On lui faisait tous les mauvais compliments qu’on ne pouvait, pas faire à Napoléon III. M. de Ronchaud se conforma à cet usage. Il reprocha en termes couverts au fils auguste de Vénus d’avoir fait le 2 Décembre. Je crois bien que cet article fut poursuivi ; car il souleva beaucoup d’enthousiasme parmi mes camarades de classe. Nous en récitions des tirades dans les cours de récréation, et il ne me serait pas impossible d’en retrouver encore aujourd’hui quelques phrases dans ma mémoire : « Pour grands que soient les Césars, au dire de leurs flatteurs, eussent-ils fait un pacte avec la victoire, et le monde entier fût-il pour eux, nous…, etc., etc. » C’était bien naïf, mais que cela nous semblait beau !

M. de Ronchaud avait le génie intérieur et l’âme d’un grand poète. Il sentait comme Lamartine, mais l’expression ne servait pas toujours sa pensée. Il portait jusque dans ses vers cette négligence, cet abandon, cet oubli de soi que ses amis savent bien qu’il étendait à toute sa personne : car ils l’ont connu fort insoucieux de tout ce qui le touchait et laissant à sa noblesse naturelle le soin de réparer seule le désordre de ses habits. Ses vers pareillement sont incultes et beaux d’une beauté native. Je songe surtout à son dernier recueil, les Poèmes de la mort. C’est sans doute en le lisant que M. D. Nisard a dit qu’avec une forme plus châtiée M. de Ronchaud serait un des premiers poètes de ce siècle. Il y a, en effet, dans ce recueil un poème de quinze cents vers, la Mort du Centaure, dont on ne peut sentir sans frissonner le souffle puissant. Je citerai les plaintes du vieux Chiron, regrettant sa jeunesse et la jeunesse des choses, qui s’en sont allées ensemble :

Encore un jour de plus levé sur l’univers !

Que j’en ai vu depuis que mes yeux sont ouverts !

Que d’aurores depuis cette joyeuse aurore

Où ma course à travers l’air brillant et sonore

Vint réveiller l’écho dormant dans ces vallons !

Les jours comme aujourd’hui ne me semblaient pas longs.

Étonné de moi-même et de mon être étrange,

De l’homme et du cheval mystérieux mélange,…

* * * * *

Curieux d’inconnu, l’âme de désirs pleine,

J’embrassais d’un regard, j’aspirais d’une haleine

Et l’air et la lumière, et la terre et le ciel.

Tout était liberté, joie, amour, lait et miel.

Cette immortalité, qui maintenant me pèse,

Je la portais superbe, avec un cœur plein d’aise,

Et, sur la terre en fleurs, sous les cieux éclatants,

Libre, je m’emparais de l’espace et du temps.

Un jour, je rencontrai Pholoë sur la cime

Où m’avait emporté mon vertige sublime.

Superbe, le front haut, ses longs cheveux épars,

Les seins au vent, le ciel était dans ses regards.

On eût dit à la voir, dans sa grâce ingénue,

Une fille du ciel, une enfant de la nue,

Ou la divinité sauvage du vieux mont.

Moitié femme, moitié cavale, son beau front

Rayonnait dans l’air pur de lumière et de gloire,

Et son pied frémissant creusait la terre noire.

Que je la trouvai belle ! Elle me regarda…

* * * * *

À mon désir muet son âme fut séduite ;

Et tous deux emportés par une même fuite,

Nous allâmes cacher dans les bois nos amours…

Ce poème de la Mort du Centaure est inspiré par une belle philosophie. Ayant la joie de dîner il y a quelques jours avec un très grand sage, j’appris de lui quelle philosophie il est convenable d’avoir si l’on veut n’être pas trop dupe de la vie et des choses.— « C’est, me dit ce sage, le panthéisme pour soi et le déisme pour les autres. » M. de Ronchaud ne connut jamais une sagesse si prudente. Il était panthéiste pour les autres comme pour lui-même. Il professait une riante obéissance aux lois éternelles. Il croyait hautement aux dieux bons cachés dans la nature. De toutes les doctrines philosophiques, le panthéisme est assurément la plus favorable à la poésie. M. de Ronchaud doit au panthéisme ses plus beaux vers. Ce poème de Chiron, dont j’ai cité un passage, est un admirable cantique chanté à la divine nature. Le vieux centaure y symbolise l’humanité et, quand l’oracle de Dodone dit au bestial et noble sagittaire :

Tes parents

Sont dans les flots profonds et les cieux transparents,

Et toute la nature, alliée à ta race,

Dans sa maternité t’enveloppe et t’embrasse !

ce sont nos propres origines que le poète nous enseigne.

Chiron, rassasié de la vie, a soif de la mort. Il sait qu’elle est bonne, qu’elle est nécessaire, qu’elle est divine puisqu’elle est naturelle. Il aspire à rentrer dans le grand tout.

La pensée du centaure était bien celle de M. de Ronchaud lui-même. Comme il avait beaucoup de candeur, il croyait à la bonté de la nature, et cette illusion fit la douceur de sa vie.

M de Ronchaud publia en 1861 un livre intitulé : Phidias, sa vie et ses ouvrages. C’est à Londres, devant les marbres arrachés au Parthénon, qu’il eut la première idée de ce livre. En contemplant ces beaux restes, il fut saisi d’une généreuse émotion et, songeant à l’art grec et à ses paisibles merveilles, il s’écria avec Chandler : « Il a disparu, ce banquet des yeux, et il n’en reste rien de plus que d’un songe ! » Le récit qu’il a fait de sa visite à la salle Elgin du British Muséum garde l’empreinte d’une ardente et pieuse admiration : « Il semble, dit M. de Ronchaud, qu’on a devant les yeux les morceaux d’une lyre antique brisée : on essaye de les rassembler par la pensée et d’évoquer encore une fois le génie qui animait les cordes muettes. Mais les membres dispersés du poète ne se réuniront plus ; la tête d’Orphée, échouée sur un rivage barbare, n’exhale plus qu’une mélodie confuse et plaintive.

» Et cependant quelle beauté respire dans ces ruines de la beauté ! Nulle part on ne sent mieux la puissance de l’art et du génie que devant ces débris d’où rien n’a pu effacer l’empreinte de la main qui s’y est posée autrefois pour leur donner la vie avec la forme. La forme a été brisée, mais la vie éclate encore dans ces restes épars. Sur cette création, à moitié rentrée dans le chaos d’où le génie l’avait fait sortir, plane encore le souffle qui l’avait autrefois suscitée ; il semble même par moments qu’on va la voir de nouveau surgir dans sa glorieuse intégrité. Mais bientôt on s’aperçoit combien l’imagination est impuissante à restaurer ces chefs-d’œuvre de l’art antique. Le regret de l’irréparable, l’attrait du problème insoluble ajoutent alors pour nous à la beauté de ces statues le seul charme qui leur ait manqué dans le temps de leur gloire, la poésie du mystère et de l’infini. Le sentiment qu’elles font naître tient à la fois de la tendresse et de l’admiration pour la beauté humaine, de l’enthousiasme pour le génie, du respect de l’antiquité, de la tristesse qui s’attache aux ruines, de la curiosité pour une énigme et de l’inquiétude d’un désir irréalisable[10]. » Ce livre, conçu si ardemment, fut exécuté avec un soin laborieux. Il représentait, quand il parut, l’état de la science. Il ne faut pas se plaindre si vingt-sept ans de travaux archéologiques et de fouilles dans le sol de la Grèce l’ont un peu vieilli. M. de Ronchaud en préparait, peu de temps avant sa mort, une nouvelle édition entièrement remaniée. Il faut espérer que de pieux éditeurs la publieront bientôt.

Ce sont les travaux les plus nobles et les plus désintéressés sur l’histoire de l’art qui désignèrent M. de Ronchaud au poste d’administrateur des musées nationaux. L’exemple d’un tel choix est assez rare pour qu’on félicite ceux qui l’ont donné. On peut dire que M. de Ronchaud honora les fonctions auxquelles il fut élevé et que, s’il n’avait pas toutes les aptitudes spéciales d’un parfait administrateur, il ne cessa de montrer, dans son trop court passage au Louvre, cet amour ardent et lumineux du beau et du bien qui inspira toute sa vie.

Il emporte en mourant les plus pures et les plus nobles visions que les chefs-d’œuvre de l’art aient jamais imprimées dans une âme bien née. Il nous laisse quelques vers admirables, des pages où l’enthousiasme est uni à la science et le souvenir d’une belle vie.

Louis Nicod de Ronchaud, fondateur de l'Ecole du Louvre
La tombe de Louis Nicod de Ronchaud au cimetière de Saint-Lupicin

La tombe de Louis Nicod de Ronchaud au cimetière de Saint-Lupicin

Portrait de Louis de Ronchaud dans "L'art français" du 14/08/1887

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :